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Marie-Catherine de Pierrevive

« La Dame du Perron »

Connaissez-vous Marie Catherine de Pierrevive, femme remarquée au XVIème siècle, grande amie de Catherine de Médicis, épouse d'Antoine Gondi ? Le couple d'origine italienne habita Lyon, et fut propriétaire des châteaux du Grand et du Petit Perron de 1520 à 1555. Voici le portrait de la « belle Marion », une femme de tête, amoureuse des arts…
Si l'on sait ce que le quartier du Vieux Lyon doit à l'installation des Italiens à la Renaissance, le plat pays lyonnais possède lui aussi de belles demeures, témoignages du passage de ces familles.
Par exemple, à Oullins, on trouve les Dey, florentins, au château de la Bussière, les Gratiani, lucquois, seigneurs de Montlouis ; à Saint Genis Laval, les Gadagni à Beauregard.
Si cette dernière famille a donné son nom au Musée de la ville de Lyon, une autre famille florentine, les Gondi, a connu elle aussi la fortune et les honneurs de la Cour et a laissé deux demeures visibles aujourd'hui à Pierre-Bénite, mais à l'époque situées sur le territoire de la paroisse d'Oullins : les châteaux du Grand Perron et du Petit Perron. Une femme est au cœur de leur reconstruction : Marie Catherine de Pierrevive, l'épouse d'Antoine Gondi.
Un salon littéraire à Lyon reconnu par tous
Antoine Gondi, né en 1486, quinzième enfant d'une famille florentine, est envoyé à Lyon vers 1506 pour s'occuper des affaires commerciales familiales.
En 1516, il épouse Marie Catherine de Pierrevive, fille de Nicolas de Pierrevive, venu du Piémont italien.
Elle est née dans la maison paternelle qui deviendra plus tard celle de Thomas de Gadagne, actuellement le Musée de Gadagne.
Nicolas de Pierrevive est aussi seigneur de la Verrière, un domaine situé entre Saint Genis Laval et Irigny.
La famille de Pierrevive a acquis la richesse dans le commerce des épices tout comme Antoine Gondi qui bien vite accède aux charges de sa communauté. Il est nommé consul de la nation florentine en 1514 puis fonde une banque, activité phare des Italiens de l'époque qui fera leur fortune et leur entregent auprès des rois.
Il accède à la fonction d'échevin de la ville de Lyon en 1537, une consécration.
Sa fortune est considérable.
Portrait d'Antoine Gondi avec les armes des Gondi
Portrait d'Antoine Gondi
avec les armes des Gondi
Marie Catherine de Pierrevive
Marie Catherine de Pierrevive
 
À Lyon, les époux font construire leur maison à l'angle de la Montée St Barthélémy et de la montée du Garillan. Mais comme beaucoup de riches bourgeois et marchands lyonnais, ils achètent en 1520, une « maison de plaisance » dans la campagne lyonnaise à pas plus d'une demi-journée en voiture à cheval.
Les châteaux du Grand Perron (au 1er plan) et du Petit Perron (à droite) à Pierre-Bénite. (Photo Années 50)
Les châteaux du Grand Perron (au 1er plan)
et du Petit Perron (à droite) à Pierre-Bénite. Au
milieu, à gauche, la chapelle de l'Hospice du
Perron édifiée en 1912. (Photo Années 50)
Ils font le choix du Perron à Oullins et acquièrent un domaine de 16 hectares dont 10 hectares de vignes, des bois, des terres, un moulin sur la Mouche, une « mûre » (une maison en ruines) où était la seigneurie et deux maisons dont celle qu'on appellera en 1609, le « Petit Perron ». Cette dernière comprend « une maison haute, moyenne et basse » avec cellier, tinallier (pour mettre les cuves) écuries, jardins, verger, cour, chambres, greniers, colombier, fontaine.
Marie-Catherine de Pierrevive est une femme brillante, séduisante, entreprenante. On l'appelle « La belle Marion ». Il arrive que ce soit elle qui signe des achats de terre, en l'absence de son mari. Visiblement une femme de tête !
Cette femme ambitieuse a deux passions : les lettres et l'architecture.
La poétesse Louise Labbé
La poétesse Louise Labbé
Dans sa maison à Lyon, dont elle a hérité à la mort de son père, elle va tenir le plus fameux salon littéraire de l'époque en y accueillant Clément Marot, Louise Labbé (La belle cordière), la poétesse Jacqueline Stuart, sa voisine, qui vient l'été dans sa maison de la Cadière à Oullins, Pernette du Guillet, Rabelais, l'imprimeur Etienne Dolet, le poète Maurice Scève, etc
L'hiver, sa demeure près de St Jean est le rendez-vous de tout ce que la ville renferme d'hommes distingués, aussi bien que des étrangers de marque.
L'été, c'est dans ses châteaux du Grand et du Petit Perron qu'elle poursuit ses réceptions.
Deux châteaux au goût de la Renaissance
La réussite financière d'Antoine Gondi va leur permettre de reconstruire l'ancien château féodal puisque François 1er a donné son accord. C'est une demeure en L qu'ils font bâtir, suivant la courbe du chemin et la position dominante sur la campagne, les maisons alentours et même la vue sur le Rhône dans le lointain.
Au rez-de-chaussée, sur la cour d'honneur se trouvent deux salles d'apparat dont l'une est ornée d'une magnifique cheminée aux armes des Gondi qui existe toujours et vient de retrouver son emplacement dans la reconstruction du château réalisée en 2020. C'est aujourd'hui une résidence étudiante.
Au fond de l'édifice, on peut admirer un portique de style corinthien attribué (à tort ?) à Philibert de l'Orme, soutenant une galerie cadettée. Philibert de l'Orme, célèbre architecte, est l'auteur de la galerie Bullioud, rue Juiverie à Lyon.
Le château sera acheté en 1675 par Lambert de Ponsainpierre, prévôt des marchands de Lyon, descendant lui aussi d'une famille italienne, les Andretti. Il construira l'aile ouest, rehaussera d'un étage l'ensemble, donnant au château la forme d'un fer à cheval. C'est l'aspect qu'il a aujourd'hui.
Cent mètres plus bas, la maison haute, moyenne et basse achetée en 1520, est enrichie d'une galerie « à l'italienne ». Les Gondi n'ont pas perdu le lien avec leur famille et font de nombreux voyages à Florence où ils puisent l'inspiration pour leurs châteaux lyonnais.
Lors d'une exposition consacrée aux Gondi en 1988 à Lyon, André Chastel, spécialiste reconnu de la Renaissance italienne, comparera Le Petit Perron à une villa florentine.
Le jardin lui aussi à l'italienne et ses bosquets, les pergolas, les massifs de buis et de fleurs odorantes inclinent aux promenades et aux échanges poétiques dans la campagne lyonnaise comme autour de Florence…
Le château du Petit Perron - Années 60
Le château du Petit Perron - Années 60
Photo Paul Pichon.
Le château du Grand Perron
Le château du Grand Perron
(Photo HCL Années 50)
La tour du château du Petit Perron, aujourd'hui disparue
La tour du château du Petit Perron, aujourd'hui disparue
89, rue Voltaire à Pierre-Bénite - Années 30
Monumentale cheminée aux armes des Gondi dans la salle dite « des Princes »
Monumentale cheminée aux armes des Gondi dans la salle dite « des Princes »
au château du Grand Perron ( début XXe s.) - Photo ADR
Catherine de Médicis au château du Perron
Reliure d'un livre d'heures ayant appartenu à Marie Catherine de Pierrevive. (1549)Sur le plat est écrit : A Madame du Peron.
Reliure d'un livre d'heures ayant appartenu à
Marie Catherine de Pierrevive. (1549)
Sur le plat est écrit : A Madame du Peron.
Ref Numélyon. Res 307302
En 1538, Catherine de Médicis passe par Lyon et rencontre le couple Gondi. Les deux femmes (qui partagent leur attachement pour l'Italie) se prennent d'une profonde amitié.
On dit que Marie Catherine de Pierrevive aida la reine demeurée dix ans sans enfant à avoir lignée.
Le couple part pour Paris vers 1548-1549. La reine nomme alors la jeune femme gouvernante des enfants royaux (dont les futurs rois François II et Charles IX) et son époux, maître d'hôtel du roi.
C'est le début d'une protection de la famille Gondi à la cour royale et pour Marie Catherine, une manière de mettre en œuvre l'ambition qu'elle a pour ses enfants.
Catherine de Médicis
Catherine de Médicis à l'époque de son voyage
au château du Grand Perron. Portant le deuil
de son époux, elle a à ses côtés le roi Charles IX,
âgé de 14 ans et le frère de celui-ci, Henri à droite,
âgé de 13 ans. On aperçoit aussi Marguerite,
la future reine Margot. (Copie d'un tableau
incendié en 1940. Source Wikipédia)
Philibert de l'Orme l'accompagne et Marie Catherine sera alors appelée la « Dame du Perron ».
Il faut dire que les Gondi se font construire un superbe hôtel particulier vers les Tuileries, que tout le monde appelle l'Hôtel du Perron.
Vers 1564, la reine décide de faire construire le château des Tuileries et c'est vers Philibert de l'Orme et Marie Catherine qu'elle se tourne pour assurer la supervision du chantier.
Une femme aux fonctions jusque là dévolues aux hommes…..
Deux ans auparavant, les guerres de religions ont déchiré et détruit le pays. Catherine de Médicis décide d'effectuer un tour de France pour apaiser les colères du peuple.
En juin 1564, elle arrive à Lyon et le 6 juillet 1564, elle vient avec toute sa suite de prélats, gentilshommes et princes à Beauregard à St Genis Laval chez les Gadagni et en soirée au château du Perron « où il leur sera servi une superbe collation ».
Elle est accompagnée de trois adolescents : son fils, Charles IX le roi, qui a 14 ans ; son autre fils, Henri, 13 ans et Henri le prince de Navarre, le futur Henri IV, qui en a 11.
Longtemps, on appellera la salle d'apparat du château du Perron, la salle des princes.
Mais Marie-Catherine n'est pas là.
Elle est restée à Paris et s'occupe du chantier du château des Tuileries: elle signe un bail pour acheminer les pierres de Vaugirard au château via la Seine, elle paie des artisans…
Les deux châteaux et tout le domaine du Perron enrichi de nombreuses terres acquises par Antoine Gondi ont été vendus en 1555 à un cousin de Marie Catherine, italien lui aussi, Albisse Del Bene.
Des ambitions pour ses enfants
Antoine Gondi mourra dans son hôtel du Perron en 1560.
Marie Catherine de Pierrevive en 1574 à l'âge de 75 ans.
Les ambitions maternelles de la « Dame du Perron » se verront en partie exaucées :
Sa fille Marie sera mariée en 1551, par l'évêque de Glasgow à la cour à Blois en présence de Marie Stuart, future reine d'Ecosse âgée seulement de 9 ans ! Auparavant elle aura été la gouvernante de Claude et d'Elizabeth de France, future reine d'Espagne.
Son fils Albert par son mariage est devenu maréchal de Retz. Sa femme était une grande érudite et poétesse aussi. Lui influencera malheureusement le roi dans le projet funeste de la St Barthélémy.
Son autre fils Pierre, deviendra évêque de Paris.
La famille Gondi ne comptera pas moins de 3 évêques de Paris et le 1er archevêque de Paris en moins d'un siècle dont le fameux Cardinal de Retz, activiste dans le mouvement de la Fronde au XVIIème siècle.
Aujourd'hui on peut encore voir les deux châteaux du Grand et du Petit Perron, à Pierre-Bénite et imaginer la vie que purent mener leurs propriétaires au temps de la Renaissance lyonnaise, amis des arts et protégés de leur compatriote, la reine Catherine de Médicis.
Les descendants de cette illustre famille, Vittoria et Bernardo Gondi, habitent toujours la Toscane et on peut encore admirer le Palais Gondi aujourd'hui au centre de Florence.
Marie Noëlle Gougeon
Auteure de « Pierre-Bénite, de la Terre au Fleuve, une mémoire engloutie »
www.marienoellegougeon.com
juin 2021
Le château du Grand Perron aujourd'hui
La vue sud donnant sur la rue Voltaire
La vue sud donnant sur la rue Voltaire
 
 
La cour d'honneur et le portique corinthien
La cour d'honneur et le portique corinthien. À droite, sur le mur, le dessus du portail en fer forgé
installé par Lambert de Ponsainpierre au XVIIème siècle entre les deux bâtiments et fermant
la cour d'honneur. On y voit les armoiries de sa famille : les Andretti.

Bibliographie et Sources

  • BAYARD Françoise, PELLETIER André, JOSSIAUD Jacques, Histoire de Lyon des origines à nos jours, Editions Lyonnaises d'Art et d'Histoire, 2007.
  • BERTY A. et LEGRAND H. Topographie historique du Vieux Paris. Région du Louvre et des Tuileries. Imprimerie impériale. Paris. 1868.
  • BOUCHER Jacqueline Lyon et la vie lyonnaise au XVIème siècle, Editions Lyonnaises d'Art et d'Histoire. 1992.
  • CENTRE ANDRE CHASTEL, Maisons des champs dans l'Europe de la Renaissance, Editions Picard, Collection De Architectura, 2006.
  • COCHARD de l'Académie de Lyon, Voyage à Oullins et au Perron, chez Pézieux, libraire, Lyon, 1826.
  • DE CORBINELLI Histoire généalogique de la Maison de Gondi. Chez Jean Baptiste Coignard, imprimeur ordinaire du Roi. 1705.
  • DE LA CHESNAYE-DESBOIS et BADIER Dictionnaire de la Noblesse contenant leur généalogie, leurs armes etc…A Paris chez Schlesinger frères, libraires-éditeurs. 1864
  • DE LA VALLEE POUSSIN L. Les vieux murs d'une grande banque. BNF. 1924.
  • DE L'ORME Philibert Premier Tome de l'Architecture chez Frédéric Morel. 1568.
  • DESPIERRES Gabriel Pr, Histoire d'un hôpital. Du vieux château du Perron à l'hôpital Jules Courmont, 1979.
  • JAUNAY Louis Histoire des Evêques et archevêques de Paris. G. Téqui, Libraire-Editeur. 1884.
  • IACONO Giuseppe, FURONE Salvatore, Les marchands banquiers florentins et l'architecture à Lyon au XVIème siècle, Publisud, 1999.
  • MICHON Léonard Armorial général des trésoriers généraux de France au bureau des Finances de la généralité de Lyon. Imprimerie Paul Legendre.1903.
  • NAUDE des MOUTIS Jean Pierre et MERAS Mathieu Anciennes demeures et vieux logis du Rhône augmenté de 25 planches photographiques. Aux éditions des anciennes demeures françaises. 1985.
  • PERRET de la MENUE, Recherches historiques sur le château du Perron, Imprimerie d'Aimé Vingtrinier, 14 rue Bellecordière, Lyon, 1865.
  • PELLETIER Corinne, Châteaux et maisons bourgeoises dans le Rhône, Editions Horvath, 1980
  • PICOT Emile, membre de l'Académie des Belles-Lettres La Mère des Gondi. Notice sur Marie-Catherine de Pierrevive, dame du Perron, lue dans la séance publique annuelle des cinq Académies du lundi 25 octobre 1897.
  • PONTANI LORENZO Fiesole, charmant village au-dessus de Florence. Edizioni Giusti di S.Becocci, Firenze, 1977.
  • REGNIER Michel Jardins et maisons des champs en Lyonnais, Editions Michel Regnier, 1999.
  • SALOMON Emile, Les châteaux historiques du Lyonnais et du Beaujolais, Editions de la « République lyonnaise » 1936.
  • VINGTRINIER Emmanuel Vieilles pierres lyonnaises. Illustrations de Joannès Drevet. PML Editions. 1993.
  • VINGTRINIER Emmanuel La Vie Lyonnaise. Hier-Aujourd'hui. Les Editions du Lyon. 1983.
  • VINGTRINIER Emmanuel Le Lyon de nos pères Bernoux, Cumin et Masson Editeurs. 1901
REVUES
  • ACADEMIE des SCIENCES, BELLES LETTRES et ARTS de Lyon Mémoires : Emile Perret de la Menue, architecte en chef des HCL. Editions Alexandre Rey. Lyon. 1907.
  • REVUE HOSPITALIERE DE France. Les vieux hôpitaux de France. L'Hôpital-Hospice du Perron. Janvier-Février 1947.
  • BULLETIN de la SOCIETE LITTERAIRE HISTORIQUE et ARCHEOLOGIQUE de Lyon. Le Musée historique de Lyon et les Pierrevive. Au secrétariat de la société, rue de l'hôpital. Janvier Février et Mars 1904.
  • Le PROGRES ILLUSTRE numéros du 9 avril 1899 et du 23 avril 1899. Les rues de Lyon. Rue de Gadagne et Tènement des GONDI. Rue PIERREVIVE.
ARCHIVES
Aux Archives municipales d'Oullins : Fonds Frécon, fichiers 6,7,8.
Aux Archives municipales de Lyon :
Archives de la Charité     B 180 (1,3,5,6,7,11,13)    B 181(28,31,34,43)    B 182 (27,29)
B 185 (2,6,7,17,18) B 188 (5,6) B 190 (4) B 191 (15,16)
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