Hôtel-Dieu : destins croisés - n°7 - mars 2020
La communauté des sœurs hospitalières depuis 1802 jusqu'à nos jours
3e partie
À partir de 1797, après la démission des Recteurs, une commission provisoire des Hospices Civils va être créée. Elle sera officialisée en 1802. Dorénavant les deux hôpitaux que sont l'Hôtel-Dieu et la Charité seront gérés de manière commune par des Administrateurs.
LA PERIODE REVOLUTIONNAIRE – 1797 /1802 - PERIODE INTERMEDIAIRE À L'HÔTEL-DIEU
Reprenons l'histoire un peu avant 1802. Avant cette date, le Siège de Lyon et ses conséquences terribles vont marquer la population. Au début de l'année 1793, la ville de Lyon est divisée entre les girondins modérés et les jacobins plus radicaux. Voyant la révolte gronder, les membres de la Convention décident la levée d'une armée révolutionnaire lyonnaise. Cette insurrection entraîne la mort de 43 personnes et 300 blessés emmenés pour la plupart à l'Hôtel-Dieu. Le 12 juillet la Convention déclare la ville en état de rébellion. Les évènements vont se précipiter. Sous les ordres du Général Kellerman, l'armée de la Convention bombarde la ville. Des boulets s'abattent sur l'Hôtel-Dieu qui est en proie aux flammes à plusieurs reprises.
Les sœurs hospitalières vont avec les autres personnels tenter d'éteindre au péril de leur vie les incendies pour protéger les malades et éviter l'embrasement des bâtiments. Dans la nuit du 25 août, 42 foyers d'incendie se déclarent dans l'hôpital. Marc Antoine Petit alors chirurgien major soulignera leur courage. Dès septembre, Lyon est entièrement assiégée par 60 000 hommes, la disette s'installe après une dernière livraison de vivres venant du Forez. Le siège prend fin le 9 octobre et le 12 octobre, la Convention décrète « Lyon fit la guerre à la liberté, Lyon n'est plus ». Elle devient ville affranchie. Va alors s'installer la répression et arrestations et condamnations vont se multiplier. La Commission de Justice populaire va ordonner l'exécution de près de 2000 personnes pendant six mois de terreur, du 12 octobre 1793 au 6 avril 1794. Parmi les victimes, figuraient 17 chirurgiens et 7 médecins.
Dès 1791 le gouvernement révolutionnaire avait apporté de nouvelles règles au sein de la communauté des sœurs de l'Hôtel-Dieu. Le 18 août 1792 l'Assemblée Nationale avait décrété la suppression des congrégations religieuses et des confréries. Bien que n'appartenant à aucune de ces deux catégories, les sœurs voient leur costume remplacé par une simple robe de couleur foncée, un tablier blanc, un bonnet arborant cocarde et ont interdiction de porter tout signe religieux. Soixante-dix croix d'argent furent remises à la Commission du Dépôt Central pour y être fondues ainsi que d'autres objets de culte. La croix est remplacée par une médaille suspendue à un ruban tricolore et portant les symboles de la République. La croisure avait perduré jusqu'en 1791 et des recrutements eurent lieu jusqu'en 1799. En juillet 1795, sept prétendantes sont admises, dénommées «hospitalières titulaires » ou « sœurs citoyennes ». Les révolutionnaires vont toutefois augmenter leurs gages désormais fixés en franc depuis l'arrivée récente de cette nouvelle monnaie.
LE XIXEME SIECLE - 1802 - L'HÔTEL-DIEU ET LA CREATION DES HOSPICES CIVILS
Après cette sombre période, l'Hôtel-Dieu est dans un état déplorable. Ses biens ont été saisis et vendus. La chapelle dévastée est remise au culte. Seul un tableau de Thomas Blanchet, une Pietà, présente dans les inventaires avant la révolution, avait échappé au pillage, ainsi que la Vierge de Mimerel. Peut-être grâce à quelques sœurs… Elles participeront à la réornementation. Un des tableaux du chœur, la Parabole du Bon Samaritain, sera notamment offert par sœur Jeanne Marie Olard. Certaines sœurs qui avaient souhaité quitter l'hôpital pendant la période révolutionnaire sont réintégrées. La vie reprend son cours. En 1802, le nombre de lits à l'Hôtel-Dieu est de 1225.
Le 7 janvier 1802, le Ministre Chaptal accompagne le 1er Consul à Lyon et visite l'Hôtel-Dieu. Il est interpellé par sœur CAMUS, sœur pharmacienne, qui lui demande de rétablir costume, coiffe et port de la croix. Contre toute attente, Chaptal aurait répondu : « rien ne s'oppose à ce que les hospitalières portent au moins dans la maison leur cornette et leur croix d'argent ». Les administrateurs soulignent alors le coût pour l'hôpital de commander de nouvelles croix d'argent. La réponse de Chaptal fut la suivante : « ce chiffre n'est pas tel qu'il doive vous empêcher de donner satisfaction au vœu des hospitalières ».
Le 18 mai 1804, Napoléon Bonaparte est proclamé « Empereur des Français ». L'Hôtel-Dieu aura eu un répit de courte durée, les guerres napoléoniennes provoquant l'hospitalisation d'un nombre considérable de soldats. La dernière année de l'Empire, l'hôpital accueille plus de 10 000 soldats, notamment ceux du Maréchal Augereau qui avait défendu vaillamment la ville en décembre 1813. Lyon se rend le 21 mars 1814. Les Autrichiens blessés sont soignés à l'Hôtel-Dieu. En reconnaissance des bons soins prodigués, leur état-major va offrir une ration de café supplémentaire aux sœurs hospitalières pendant toute la durée de l'occupation de la ville. Une d'entre elles, Sœur Delhorme sera décorée d'une médaille d'argent par le Général Fustenwaerther pour son dévouement. Le Premier Empire s'achève. Les troupes autrichiennes quittent Lyon le 9 juin 1814.
Vient ensuite la période de la Restauration avec Louis XVIII mais le 10 mars 1815 au soir, Napoléon de retour de l'île d'Elbe entre triomphalement à Lyon. Établi dans l'archevêché, il y rédige les décrets rétablissant l'Empire. Il repart le 13, en déclarant son célèbre "Lyonnais je vous aime". Après son abdication le 22 juin et le retrait de l'Armée des Alpes, une autre période encore très troublée va s'installer à Lyon, celle des Cent jours, avec son lot de blessés et une nouvelle occupation par les autrichiens de juillet à décembre 1815. Ce XIXème siècle sera caractérisé par une succession de changements de régime. Louis XVIII revient en 1815 et règne jusqu'à sa mort en 1824. Son frère Charles X lui succède jusqu'en 1830. Puis vient la Monarchie de Juillet avec Louis Philippe. L'Hôtel-Dieu va connaître à nouveau des soubresauts dûs aux querelles entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel.
LA REVOLTE DES SŒURS ET « L'AFFAIRE GABRIEL »
Sous Louis XVIII ET Charles X, les administrateurs avaient changé quelques règles en nommant plus d'aumôniers, et en leur donnant plus de pouvoirs, notamment une partie des fonctions confiées à l'économe concernant les sœurs hospitalières. Dès 1827, un noviciat avait été créé pour l'Hôtel-Dieu et la Charité, destiné à l'instruction religieuse des sœurs sous la direction d'un maître spirituel, Philéas Jaricot - frère de Pauline, fondatrice de l'œuvre de la Propagation de la Foi - et nommé l'année précédente. Il prit un ascendant important sur la communauté et de vives controverses virent le jour avec l'administration. Il dut partir en 1830. Quinze sœurs quitteront alors l'Hôtel-Dieu : « dans la disposition de supporter toutes sortes de persécutions, de blâmes et de privations plutôt que de rendre inutiles pour nos âmes les derniers avis de celui que nous regardons avec raison comme notre père en Jésus-Christ ».
Les choses s'envenimèrent après la Révolution de Juillet. Il avait été demandé aux administrateurs des hôpitaux de prêter serment et de jurer fidélité au roi des français. Ils refusèrent et furent révoqués. Les nouveaux administrateurs nommés réduisirent le nombre d'aumôniers, supprimèrent le noviciat et répartirent l'autorité entre l'économe et le nouvel abbé Marie Gabriel. Une des sœurs, sœur Bonnard, fit publier et distribuer une brochure critiquant ces dernières modifications. Elle fut congédiée, puis réhabilitée après avoir fait amende honorable. Mais l'abbé Gabriel reste insatisfait des fonctions qui lui sont attribuées. Ce sera « L'AFFAIRE GABRIEL ». Prétextant abus et désordres au sein de la communauté, il demanda une extension de ses pouvoirs, que l'administration ne pouvait accepter au risque de perdre toute autorité.
L'abbé essaya de s'attirer les sympathies des autres aumôniers et de quelques sœurs, créant de tels troubles dans l'établissement que l'administration dût intervenir auprès de l'Archevêché pour demander sa révocation. Ce ne fut pas nécessaire, l'abbé Gabriel démissionna tout en poussant les sœurs à la révolte contre les décisions du Conseil. Évidemment, l'Archevêché saisit l'occasion pour tenter d'obtenir l'extension des pouvoirs du Maître spirituel et le rétablissement du noviciat. Les administrateurs refusèrent en mettant en avant une délibération approuvée par le Préfet. Dès lors, l'Archevêché reconnut définitivement que les sœurs hospitalières de l'Hôtel-Dieu ne relevaient d'aucune communauté religieuse. Mais l'affaire ne s'arrêta pas là. L'abbé Gabriel avait échauffé les esprits, et une partie des sœurs et prétendantes adressèrent le 15 décembre 1834 aux membres du conseil une lettre demandant un Maître spirituel investi de l'autorité de l'administration. Elles terminent en ces termes : « Plutôt mourir que de nous soumettre à un laïc », sous-entendu l'économe.
La révolte va éclater avec sœur Benot qui, étonnamment après 32 années de bons et loyaux services, refuse d'obéir à un ordre « au motif qu'il ne vient pas d'une autorité ecclésiastique ». Elle est congédiée mais, malade, doit revenir à l'infirmerie des sœurs. Une prétendante du nom de Robert à son tour se rebiffe. Elle refuse de quitter l'hôpital. Le Préfet, averti, ordonne aux agents de la force publique d'intervenir. Quelques sœurs vont s'interposer. C'est un véritable soulèvement. Elles invectivent les agents qui, finalement, capitulent. Il fallut néanmoins l'intervention de cinquante grenadiers pour rétablir l'ordre dans l'Hôtel-Dieu. Sept prétendantes « particulièrement violentes » auraient dû être congédiées, mais à la demande du directeur de l'hôpital elles firent simplement l'objet de mesures disciplinaires. La révolte pris fin en 1835. Sur les conseils de l'Abbé Gabriel, certaines rejoignirent la communauté des sœurs gardes malades du Bon-Secours, rue Sainte Hélène à Lyon.
XIXème SIECLE - CONFLITS SOCIAUX ET l'HÔTEL-DIEU
Les administrateurs se devaient de rétablir leur autorité. Ils s'appuyèrent sur les propos d'Adolphe Thiers, alors ministre de l'Intérieur, qui écrit : « le pouvoir exorbitant accordé au Premier Aumônier doit être réduit exclusivement à la direction du service du culte dans les établissements ». Il fallait restaurer l'ordre afin que l'hôpital réponde aux besoins de la population en matière de soins. Lyon en ce début du XIXème siècle compte environ 180 000 habitants. Les périodes de privations précédentes, ainsi que la révolution ont laissé des traces, et malgré les changements politiques, les problèmes économiques et sociaux perdurent. La ville a un fort taux de paupérisation, de nombreux lyonnais sont inscrits dans les bureaux de bienfaisance. La misère est grande, la mortalité infantile très importante. Si la révolte des sœurs avait perturbé la vie de l'hôpital, d'autres évènements vont bouleverser Lyon : les révoltes des canuts au cours desquelles deux chirurgiens de l'Hôtel-Dieu vont d'ailleurs s'impliquer.
La première en 1831 tourne à l'insurrection avec l'occupation de l'Hôtel de Ville par les ouvriers de la soie. Le Docteur Joseph Gensoul s'interposera pour éviter que les insurgés pénètrent dans l'Hôtel-Dieu. Particulièrement violente, la révolte fit en deux jours de nombreux morts, 263 blessés militaires et 140 civils, pour la plupart dirigés vers l'Hôtel-Dieu. La seconde en 1834 fut la plus terrible. Les conditions de travail n'ayant pas évolué, 2500 métiers de tisseurs cessent de battre et la grève dure huit jours. L'insurrection s'installe à nouveau dans de nombreux quartiers de la ville en particulier la Croix-Rousse et ses pentes. La révolte se termine en avril. Les pertes humaines sont énormes : plus de 300 morts, près de 200 militaires blessés et plus de cent insurgés orientés vers Hôtel-Dieu à la demande du médecin Amédée Bonnet qui, pendant deux jours, les avaient soignés dans l'église Saint Bonaventure. Les sœurs hospitalières surent apporter soins, dévouement et attention à ce monde des ouvriers en soie fortement représenté dans la population lyonnaise, la Fabrique occupant en 1830 près de 25 000 personnes.
Après l'avènement de Napoléon III, sous le Second Empire la France se transforme avec la révolution industrielle. Lyon profite de ces évolutions. Toutefois, en ce XIXème siècle, la ville va connaître de nombreuses maladies et épidémies : typhus, grippe, coqueluche, rougeole, tuberculose, et autres maladies vénériennes. Certaines apportées et diffusées par les soldats, d'autres dues au manque d'hygiène avec les problèmes d'évacuation des eaux usées, mais aussi des inondations comme par exemple celle résultant de la crue du Rhône en 1840, souillant l'eau potable. Les personnels soignants de l'Hôtel-Dieu et la communauté des sœurs devront y faire face. C'est surtout le « cholera morbus » qui, comme la peste dans les siècles précédents, va marquer terriblement les esprits. Cette pandémie va ravager la France en 1832-1833 avec près de 160 000 décès et réapparaîtra en 1849, puis en 1854.
Un autre conflit va poindre : la guerre de 1870. Elle ne durera qu'un an mais fera un nombre considérable de blessés. L'Hôtel-Dieu ne pouvant tous les recevoir, ils seront orientés vers d'autres hôpitaux qui avaient rejoint récemment les Hospices Civils : l'Antiquaille, la Croix-Rousse, Sainte Eugénie où officiaient également la communauté des sœurs hospitalières. Enfin, si les disettes avaient disparu, l'hiver très rude cette année-là entraîna à nouveau misère et épidémies. Dans ce contexte sanitaire fortement dégradé, l'Hôtel-Dieu fut particulièrement confronté à la variole. L'épidémie, endémique depuis 1865, décima les armées et affecta considérablement la population civile. Elle provoqua près de 200 000 décès en France. Dans la même période, typhoïde et diphtérie séviront à Lyon remplissant les hôpitaux de nombreux malades.
TRANSFORMATION ET CHANGEMENTS DANS LA COMMUNAUTE DES SŒURS
Tout au long du XIXème siècle, l'administration des Hospices va regrouper de nombreux hôpitaux lyonnais. Cela continuera au cours du siècle suivant. Les sœurs de l'Hôtel-Dieu avaient formé celles de l'Hôpital de la Charité qui comptait, après sa réunion avec l'Hôtel-Dieu en 1802, 42 sœurs croisées et prétendantes. Elles initièrent à leur tour celles de l'Hospice du Perron en 1844. La communauté de l'Hôtel-Dieu formera aussi celle de la Croix-Rousse en 1861, de Sainte Eugénie en 1867. À l'Antiquaille, une communauté avait été organisée dès 1802 par deux sœurs, du nom de Decours et Giraud, qui dans un premier temps relevaient de l'ordre de Sainte-Marthe. Elles intégrèrent ensuite celle des Hospices. Ainsi la communauté de l'Hôtel-Dieu, composée en 1802 de 154 sœurs croisées et prétendantes, avait essaimé. L'institution des sœurs relevait toujours des mêmes règles, notamment l'obéissance à l'autorité des administrateurs et de l'économe. Leurs tâches et leurs fonctions avaient peu changé dans la première moitié de ce XIXème siècle, bien que l'une d'entre elles décrive, en 1830, les soins qu'elle prodigue et y trouve une évolution notamment dans leur fréquence : « la médecine aujourd'hui occupe plus qu'autrefois, ainsi les sangsues, les bains de toute espèce, les cataplasmes, les emplâtres, la moutarde, les frictions, la plupart inusités il y a 15 ou 20 ans, sont pour le plus grand bien des malades prescrits très largement ».
L'évolution des soins mais aussi celle de la société vont impliquer des changements dans la formation des sœurs hospitalières. En effet, si au début du XIXème siècle quelques-unes d'entre elles étaient instruites, certaines savaient à peine lire et écrire. Les administrateurs décidèrent donc de créer, à partir de 1856, un « noviciat », véritable école où seront enseignées grammaire, arithmétique, histoire et géographie, botanique, initiation à la pharmacie, à l'anatomie et la médecine. Dès le début de cette initiative, quatre-vingt sœurs s'inscriront. Le noviciat dure une année et se prolonge avec des cours spécifiques pour celles qui se destinent aux soins. En 1892, toutes les sœurs hospitalières sont tenues de s'inscrire obligatoirement. Celles ayant obtenu leur Brevet ou Certificat d'Etudes peuvent dispenser l'enseignement à leurs compagnes. Ce «Noviciat-Ecole des Sœurs» avait à sa tête une «mère», une «cheftaine». La formation passera ensuite à quatre ans. En 1899, une école d'infirmières est créée à la Charité où une école d'accouchement avait déjà été organisée dès 1807. Après la démolition de l'hôpital en 1935, l'école de sages-femmes est transférée à l'Hôtel-Dieu. Ces écoles délivrent dorénavant des diplômes d'État reconnus. Elles vont au fil du temps accueillir des élèves n'ayant plus de lien avec les communautés des sœurs hospitalières d'origine.
AMELIORATIONS À L'HOPITAL AU XIXEME : L'HYGIENISME et L'HÔTEL-DIEU
Ce courant de pensée déjà initié par le chimiste Antoine Lavoisier fut développé par Louis Pasteur et ses disciples, le but étant de lutter contre toute contamination. L'assainissement des hôpitaux était donc devenu indispensable. Mais l'architecture de l'Hôtel-Dieu ne s'y prêtait guère. Les proportions des nouveaux bâtiments situés le long du Rhône (terminés en 1821 pour l'aile septentrionale et bien plus tard pour l'aile méridionale), s'ils apportaient clarté et air comme le préconisaient les hygiénistes, ne facilitaient pas les tâches des personnels. La magnifique façade de 315 m de long abritait d'immenses salles de malades, deux au premier étage, deux au second donnant sur le dôme monumental, sorte de cheminée d'aération sur le même principe que le dôme des bâtiments des quatre rangs. Elles pouvaient contenir plus de quatre-vingt lits.
Très tôt pourtant à la demande de Louis XVI, l'Académie des Sciences s'était penchée sur la question de l'hygiène et des conditions d'hospitalisations. Le Professeur Tenon rendit des conclusions en 1788 dans un fameux rapport, préconisant de grands principes sanitaires, notamment d'éviter des salles trop hautes, trop difficiles à chauffer et conseillait au maximum 24 lits par salle. Ce n'était donc pas le cas à l'Hôtel-Dieu. En 1834 on comptait encore, dans les salles des bâtiments du XVIIème, pour les services des Docteurs Rougier et Montfalcon, respectivement 120 et 112 lits. Toutefois, l'Hôtel-Dieu pouvait s'enorgueillir d'avoir été le premier hôpital, avant Paris, à prendre en considération le bien être des malades puisque dès 1787, l'hôpital acheta 300 lits de fer d'une place et retailla 436 lits en bois grâce à une souscription faite auprès des lyonnais. Des panneaux de marbre visibles encore aujourd'hui sous le grand dôme témoignent de cet élan de charité.
Ces salles immenses posaient un problème : l'approvisionnement en eau. Or, tous les quinze jours on procédait au « grand lavage », on répandait sur le carrelage environ mille litres d'eau de lessive, pour une salle d'environ cent lits. Puis on laissait agir pendant trois heures avant d'éponger et de sécher. Cette opération provoquait un grand désordre pour prodiguer les soins et il était quelquefois nécessaire de déplacer les malades, ce que redoutaient les sœurs hospitalières. Ce n'est qu'en 1839 que fut installée dans une cour de l'hôpital une machine à vapeur permettant de pomper l'eau du Rhône, l'apportant à tous les étages des bâtiments pour les besoins des soins, des préparations médicamenteuses, des bains des malades ainsi que pour la buanderie. Le « grand lavage » fut supprimé, selon le souhait des médecins, et les tomettes remplacées par du parquet à la demande du Docteur Terme, maire de Lyon, très intéressé par la santé publique. On équipa également les salles de calorifères pour le chauffage, et de compteurs à gaz pour l'éclairage. Les caves et les cours furent assainies, la boucherie supprimée. Ces travaux améliorèrent bien évidemment les conditions de travail des sœurs hospitalières. Toutefois, dans les années 1900, il fut envisagé de transformer, voire de démolir l'Hôtel-Dieu toujours considéré insalubre. L'arrivée de la Grande Guerre stoppa court cette idée. On peut imaginer les pensées de celles et ceux qui se dévouaient à faire fonctionner le vieil hôpital devant un tel projet.
XXEME SIECLE : EVOLUTION DE LA FORMATION DES SŒURS HOSPITALIERES
Avant la Seconde Guerre Mondiale, les Hospices comptabilisaient 935 sœurs hospitalières réparties en huit communautés. La plupart étaient maintenant diplômées, infirmières ou sages-femmes. Certaines d'entre elles sont restées célèbres. Sœur Françoise Claudine Janin, née en haute Savoie en 1870 et décédée en 1945, consacra cinquante ans de sa vie à la maternité de la Charité puis de l'hôpital Edouard Herriot après 1935. Enfin, la plus connue, Sœur Jeannette Louise Bouvier, née en 1869, se consacra durant soixante-quinze ans au service des malades. Elle devint cheftaine de la maternité de l'Hôtel-Dieu et aurait fait naître près de 120 000 enfants. Chacune possède une rue à son nom dans le 5ème arrondissement de Lyon.
La communauté des sœurs de l'Hôtel-Dieu et des autres hôpitaux dépendant des Hospices va être confrontée aux deux guerres mondiales qui vont marquer le XXème siècle. Comme dans les conflits des siècles précédents, elles assureront les soins des malades civils et des blessés militaires, même ennemis, toujours avec égard. Paradoxalement, ces différents conflits armés ont permis des progrès en médecine et chirurgie militaire. C'est d'ailleurs à l'Hôtel-Dieu de Lyon, lors de la guerre de 14-18 que la chirurgie maxillo-faciale va prendre un essor considérable. Les sœurs hospitalières vont participer à ces évolutions. Les poilus, éternellement reconnaissants, ne tariront pas d'éloges, allant jusqu'à leur adresser des poèmes enflammés.
Pendant toute la durée du deuxième conflit mondial, les sœurs vont admirablement faire face à l'adversité pour soigner militaires et population civile, jusqu'à cette année 1944 lorsque les bombardements de Lyon par les Alliés, détruisant de nombreux quartiers de la capitale rhodanienne, firent des milliers de blessés. Elles vont aussi être témoins directs des destructions des bâtiments de l'hôpital. C'est au moment de la Libération, au lendemain du dynamitage des ponts par les allemands, que le 2 septembre 1944, le bombardement du pont de la Guillotière fait exploser les vitraux de leur réfectoire, vitraux qui provenaient de l'Hôpital de la Charité et retraçaient son histoire. Mais c'est surtout le 4 septembre, lors d'un échange de tirs, que des balles traçantes atteignent le grand dôme. Il prend feu et s'effondre. Dès lors, il fallut évacuer en urgence. Et comme leurs consœurs lors du Siège de Lyon en 1793, une nouvelle fois, les sœurs hospitalières ne ménagèrent par leur peine et prirent tous les risques en aidant les pompiers pour éviter la propagation du feu, sauver et protéger les malades, notamment ceux des grandes salles attenantes au dôme.
DERNIERS CHANGEMENTS ET FIN DE LA COMMMUNAUTE DES SŒURS HOSPITALIERES
Depuis déjà quelques temps, les Hôtel-Dieu ne sont plus considérés comme un lieu faisant œuvre de bienfaisance recevant indigents, mais comme un lieu de soins, même si ces derniers furent longtemps pratiqués avec plus de dévouement que de connaissances. Déjà, les découvertes médicales du XIXème siècle ont entraîné des changements radicaux au sein de l'hôpital. Des avancées considérables en médecine ont apporté des bouleversements dans la pratique des soins. Les principes d'antisepsie et d'asepsie sont maintenant appliqués, l'anesthésie, « l'éthérisation », la radiologie seront très tôt utilisés par les médecins et chirurgiens de l'Hôtel-Dieu. Ces progrès de la science vont s'accentuer pendant tout le XXème siècle. Les sœurs hospitalières vont devoir s'adapter à d'autres méthodes de travail, aux nouvelles techniques, ainsi qu'à l'utilisation de nouveaux matériels.
Des recrutements de sœurs hospitalières auront encore lieu dans la première moitié du XXème siècle. Quelques photos prises dans la chapelle de l'Hôtel-Dieu témoignent du cérémonial de la « croisure » et la « prise d'habit ». Et c'est paradoxalement, en ce siècle qui a vu la séparation de l'Église et de l'État en 1905, que la communauté va se rapprocher de l'autorité religieuse. Le Cardinal Maurin en 1937 écrit : « Il existe aux HCL des femmes portant de temps immémorial un costume spécial, vivant comme des religieuses mais sans avoir prononcé de vœux. Il n'existe aucun texte canonique constatant leur existence … toutefois ce groupement n'a pu s'établir sans l'approbation des archevêques successifs de Lyon … ». On retrouve à travers ces propos le désir manifeste de l'Église de Lyon d'imposer son autorité depuis des siècles sur cette communauté.
En 1939, un nouveau règlement est pris par le Cardinal Gerlier, précisant l'organisation des communautés, dont celles des sœurs hospitalières « concernant les domaines intéressant l'autorité ecclésiastique ». Il s'agit d'offrir une formation spirituelle aux sœurs hospitalières, leur proposer « une possibilité d'épanouissement analogue à celle qu'on leur offre dans le domaine professionnel ». Contre toute attente, dès 1960, les sœurs des HCL, en accord avec l'archevêché, vont adhérer à ces nouvelles règles. On parlera d'un aggiornamento. En décembre 1969, la communauté devient « L'institut des sœurs hospitalières de Lyon » et le 10 mars 1970, l'Archevêché, sous l'égide du Cardinal Renard, prend le décret de reconnaissance de « l'Institut Religieux des Sœurs Hospitalières de Lyon », Institut de Droit Diocésain. Si elles restent toujours liées par un contrat de travail avec les HCL, les sœurs hospitalières sont maintenant reconnues par l'Eglise « pour le passé, présent et avenir ».
Depuis une décision du 23 avril 1920 les emblèmes religieux dans les salles d'hospitalisés de l'Hôtel-Dieu avaient été supprimés « à chaque occasion de restauration d'une salle ». Quant au costume traditionnel des sœurs, fini cornette et large robe. Après les années 50, il laisse place à une tenue civile plus adaptée aux soins et au monde contemporain. Les toutes dernières sœurs seront encore reconnaissables par le port d'un simple voile et quelquefois leur croix d'argent. Mais le changement radical qui amènera à la disparition de la communauté des sœurs hospitalières interviendra avec l'évolution des professions et leur spécialisation. À cela s'ajoutera la crise des vocations et l'application stricte de la laïcité dans les hôpitaux publics.
En 1931, l'Hôtel-Dieu comptait encore 186 sœurs, la Charité 174. Après la deuxième guerre mondiale, elles sont environ 800 pour tous les Hospices, alors composés de plus d'une quinzaine d'établissements. En 1950, les sœurs ne sont plus majoritaires, non seulement dans les services de soins, de maternité, mais également en cuisine, à la lingerie, la pharmacie, tous ces services dans lesquels elles ont officié pendant des siècles. En 2005, on recense à peine une dizaine de sœurs hospitalières en activité aux HCL, et une quarantaine dites « reposantes ». Ces dernières, souvent très âgées, seront hébergées dans un pavillon de l'hôpital Edouard Herriot, puis dans un bâtiment situé à l'angle de la rue Boisard et du Cours Gambetta. Après sa démolition, elles seront accueillies à l'hôpital Pierre Garraud. Certaines firent le choix de rejoindre des communautés religieuses.
Ici s'arrête l'histoire de cette communauté que j'ai tenté de vous retracer succinctement à travers ces trois articles. Il y aurait encore sans doute tant de choses à raconter sur celles qui, depuis les filles repenties de l'hôpital de Notre-Dame de Pitié du Pont du Rhosne au XVIème siècle, aux servantes des pauvres jusqu'aux sœurs croisées, ont assuré assistance et soins avec dévouement et abnégation. Véritables chevilles ouvrières, communauté ouverte, elles ont participé et contribué à l'histoire de la cité aux travers des évènements et troubles qui ont marqué la France pendant près de cinq siècles. Il m'a donc semblé important de resituer, autant que faire se peut, la vie de cette communauté dans son contexte historique. D'ailleurs, si les malades et blessés militaires leur témoignèrent de tout temps reconnaissance, la nation ne fut pas en reste en décorant certaines d'entre elles. En 1938, on recensait deux sœurs ayant la Croix de la Légion d'Honneur, cinq les Palmes Académiques, 85 la Médaille des Epidémies et 463 la Médaille de l'Assistance Publique. Cette institution si particulière des sœurs hospitalières, unique en France, a fait le renom des hôpitaux lyonnais.
Au hasard d'une promenade dans les cours et les bâtiments de l'hôpital, cherchez bien, et vous trouverez encore aujourd'hui quelques témoignages de l'existence des sœurs hospitalières de l'Hôtel-Dieu de Lyon.
Chantal Rousset-Beaumesnil
Retour à la rubrique